Le jeudi, c'est tranquille dans l'anse.
Un bienvenue, en néon rouge, au-d'sus d'la porte du Petro.
On flashe au même rythme cardiaque.
C'est le signal du départ.
La chanteuse pop su'l magazine me regarde
comme si elle voulait embarquer elle aussi.
Mais a pas de billet
pis j'ai pus d'argent.
Le jeudi dans l'anse,
y'a rien qui s'passe,
y'a rien qui s'crée.
Tout se transforme.
Le ciel est pas sûr,
mais les chemins su'a mer supposent qu'y va mouiller
pis les enfants su'a corde me disent qu'ils vont brailler.
On en sort pas tous indemnes.
Miss Météo, a rien à dire là-dessus,
elle contrôle juste son maquillage.
Elle ne voit rien de bon pour moi,
ou même de mal,
dans ses boules de cristal.
Ses yeux tournent comme des boussoles folles devant cent mille éoliennes
et le vent diésel pousse l'autobus sur la 132, qui est ben plus longue que ça.
J'ai 17 ans.
Comme si c'était hier.
Toujours la même cérémonie:
ma mère me dit de r'culer mes épaules pis d'être fier
parce que c'est tout ce qu'on a.
Mon père dit rien, ça veut tout dire:
'Tention le grand.
Un gars peut se perdre
entre Cap-Chat pis Montréal .
On s'arrête presque plus qu'on roule.
Le temps est long comme à l'église.
Mais la vie est risquée comme deux flos dans un char sport.
Tout ça me dépasse
sur une double
pendant qu'le chauffeur mange ses kilomètres.
La mer fait pas toute la run.
A finit par prendre son bord
comme pour te dire que là,
t'es pus vraiment chez vous.
À mesure d'la sphate, mes années s'accumulent
comme les lampadaires pis les sandwichs triangle.
C'est le Transsibérien qui fend l'hiver en deux pendant que la 132 hiberne.
La game des Canadiens se perd dans les virgules des fréquences
pis mes batteries sont faibles.
C'est triste,
mais pas autant qu'la fille du dépanneur,
qui travaille de nuit,
qui passe la moppe,
l'espoir coincé dans son linge propre.
Pas le temps d'étaler nos vies sur le comptoir de gratteux.
La lune est diésel.
Le bus repart et s'enligne sur la 20, sur ma vingtaine
qui est pas plus longue que ça.
On n'a pas toujours le temps de tomber en amour
entre Cap-Chat pis Montréal.
La ville est soûle, le vendredi.
C'est noir de flos en linge pas chaud, pas grave,
qu'y parlent plus fort qu'les chars ultra-shinnés
pour la parade des pétards.
Ça parle d'exhaust pour exaucer
leur rêve nocturne de filles format de poche,
jouquées comme des perruches
en talons hauts.
Au fond du bar,
madame passe son temps à pas faire son âge
pendant que je cherche le mien.
La radio chante en mono la moitié
d'une chanson d'amour.
Et dans la nuit cagoule, dans les rues tatouages,
Montréal me regarde
comme si elle savait
que j'sais pas où j'm'en vas.
J'ai 30 ans.
C'est comme si c'était demain.
La reine d'Angleterre est sur le bien-être
pis à me demande du change,
mais j'ai pus d'argent.
Tout est égal
entre Cap-Chat pis Montréal.
Il est 5 heures dans l'autobus.
Le matin s'enfarge sur la vitre.
J'me demande souvent où je vis.
Je pense à ça
pendant le break
à Rimouski.